
Iles artificielles, le projet fou d’ultras libéraux yankees
L’association The Seasteading Institute, émanation du courant libertarien de la Silicon Valley, veut implanter une cité flottante dans un lagon polynésien. Sous couvert de refuge climatique et d’incubateur scientifique pour « l’économie bleue », cette entité s’affranchirait des règles étatiques pour devenir un pôle libre de toutes contraintes.
3 îles de plus pour Tahiti ?
La Polynésie pourrait compter d’ici 2020 deux à trois îles supplémentaires. La conséquence d’une éruption volcanique souterraine, d’un récif corallien soudain émergé ? Pas du tout. Il s’agit là d’un projet très sérieux de création d’îlots artificiels dans un des lagons du vaste archipel.
L’idée germe depuis 2008 au sein du The Seasteading Institute, une ONG basée à Oakland, près de San Francisco, Californie. Fondée par Wayne Gramlich et Patri Friedman, ingénieur chez Google et petit-fils de l’économiste ultra-libéral Milton Friedman, la structure prône le libertarisme. Un courant né en 1971 qui revendique un libéralisme intégral et pense que les systèmes actuels de gouvernement son incapables de s’adapter aux sociétés technologiques. L’objectif : se débarrasser des contraintes étatiques qui pèseraient sur la capacité d’entreprendre et l’économie mondiale.
Et quoi de mieux qu’une cité créée en pleine mer, dernier espace de liberté de la planète, pour s’affranchir des règles d’un Etat ? C’est là le sens de l’action de l’institut : concevoir des îles artificielles habitées fonctionnant en totale indépendance, animées par des ingénieurs et des start-up concentrés exclusivement sur la recherche et l’innovation.
The Seasteading Institute a été soutenu par le fondateur de PayPal, le richissime Peter Thiel, devenu conseiller auprès de Donald Trump. Après avoir prospecté sans succès au Honduras, l’institut a jeté son dévolu sur Tahiti. Les lagons de l’archipel ont l’avantage d’être protégés des humeurs du Pacifique, notamment des typhons. La stabilité et l’autonomie politique du territoire garantiraient aussi, aux yeux des libertariens, la faisabilité de l’opération.
C’est ainsi que le 13 janvier dernier, la collectivité d’outre-mer a signé un protocole d’accord avec l’organisation américaine. Objectif : réaliser les études préliminaires à la construction d’une cité flottante. En mai dernier, lors d’un séminaire à Tahiti consacré à ce thème, les promoteurs ont fait assaut d’arguments pour convaincre les Polynésiens de l’intérêt du projet. Angles d’attaque : les îlots artificiels flottants seraient un antidote à la montée des eaux et donc un refuge climatique en cas de crise climatique. Et en concentrant des cerveaux spécialistes des ressources bleues, ils créeraient de l’emploi pour les Polynésiens.
Ces arguments rencontrent un écho favorable auprès de certains édiles polynésiens. Le territoire est particulièrement touché par le chômage des jeunes et le ministre de l'économie local, Teva Rohfritsch, vice-président de la Polynésie française, s'est déclaré intéressé par le projet. Le protocole valide ainsi le lancement d’études économiques et environnementales, ainsi que la recherche d’un emplacement idéal pour cette cité artificielle, peut-être au sud de l’île de Tahiti. Calendrier prévu : une mise en service d’ici la fin de la décennie.
Les défenseurs du projet avancent donc leurs pions. Techniquement, l’île, de la taille d’un terrain de football, serait en béton, portée par des flotteurs en acier remplis d’air. Le coût, estimé à environ 50 millions d’€, serait entièrement financé par The Seasteading Institute. L’île artificielle viserait l’autonomie énergétique en misant sur le soleil, l’éolien et les courants marins. L’eau de mer désalinisée, elle, garantirait la ressource en eau potable. L’aquaculture permettrait de produire la nourriture.
Un Projet High Tech
Côté économie, l’idée est d’installer des start-up spécialistes de l’économie bleue. Des chercheurs du monde entier viendraient travailler sur les énergies du futur et l’océan de ressources que représente le monde marin, encore largement inexploité. Avec des emplois à la clef pour les Tahitiens. Une sorte de Silicon Valley à la mode Pacifique. On ne parle pas encore de tourisme mais qui empêcherait que ce projet devienne à terme un motif d’attraction ? Visites, hôtels… il serait surprenant que cette cité flottante, si elle voit le jour, ne devienne pas un enjeu touristique.
En attendant, les promoteurs préfèrent mettre en avant la sécurité qu’elle représenterait en cas de montée des eaux. Elle pourrait servir de refuge aux habitants de certains atolls menacés de submersion à cause du réchauffement climatique. En 2011, le président des îles Kiribati avait déjà envisagé un projet similaire pour sauver son archipel de la submersion.
Certains accusent pourtant The Seasteading Institute d’avancer masquer. L’idéologie prônée par les libertariens ne manque pas en effet de surprendre. A quelles règles juridiques répondraient l’île artificielle ? Respecterait-elle le droit polynésien ? S’affranchirait-elle de toutes taxes et impôts en exigeant d’être une zone franche ? Et que ferait-elle de son autonomie politique revendiquée ? Autant de questions qui interpellent et font peser la menace d’une concurrence déloyale vis-à-vis des territoires rattachés à un Etat.
D’autres s’inquiètent des enjeux environnementaux. Une île artificielle, même conçue par les meilleurs architectes et vendue comme « verte », polluerait le paysage avec ses constructions ex-nihilo, avancent les détracteurs polynésiens du projet. On sait aujourd’hui avec certitude que ces îles, comme à Dubai (The Palm), ont modifié les courants marins côtiers et s’avèrent être un véritable désastre écologique. Bali a ainsi refusé il y a peu un projet similaire, par crainte environnementale.
Du chemin reste à parcourir d’ici la réalisation du projet. Ce paradis pour ultra-libéraux militants n’est pas encore créé. Prochaine étape : un accord complémentaire entre le gouvernement polynésien et The Seasteading Institute, attendu fin 2017, après la production des premiers résultats d’investigation.
Dernière mise à jour : 01/08/2017
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